La fantastique épopée... d'un terroir magique !

Le Kitterlé est un véritable monument historique. La montagne a été modelée par les hommes à la force de leurs bras. A plusieurs reprises elle s’est à moitié effondrée. Et l’on a dû construire plus de 50 km de murs pour soutenir les terrasses de vignes sur ces pentes abruptes. C’est un terroir magique, « pauvre et sablonneux » qui ne peut jamais donner de grandes quantités de vin. Son exposition au soleil du levant au couchant favorise la concentration des arômes.

Un chroniqueur du XIXème siècle indique « Pour la force capiteuse, la finesse du bouquet, aucun autre cru d’Alsace ne surpasse le Kitterlé ».

Le Kitterlé est commercialisé sous son propre nom au Domaine Schlumberger dès 1830.

 

Légende, d’après l’abbé Braunn « Légendes du Florival » 1886

La légende rapporte que le nom de « Kitterlé », autrefois « Kütterlé », vient de Kuter (dialecte souabe) et signifie gros matou sauvage. Celui-ci habitait jadis le « Haut Saering  » et son esprit malicieux se manifestait dans les tonneaux des châteaux environnants.
Selon une autre version, « Kütterlé » serait le nom d’un pauvre vigneron de Guebwiller qui, le premier, eut l’audace de partir à l’assaut de la colline pour y planter des vignes. Il y avait autrefois à Guebwiller, un homme prénommé Kuter, communément appelé « Küterlé » à cause de sa petite taille. C’était un pauvre vigneron, intelligent, laborieux et d’une constance à toute épreuve. N’ayant que peu de vignes à cultiver, il entreprit, en dépit des roches et de la rocaille, de défricher le Haut-Saering. Les gens riaient en le voyant perché en haut des rocs, certains le plaignaient. Mais Kuter n’était pas homme à se laisser impressionner par les moqueries et commentaires de ses concitoyens. Au contraire.
Les dires et les rires augmentaient son ardeur au travail. Du roc fendu il extrayait les moellons pour construire des murs, puis avec la terre amassée il nivelait une terrasse après l’autre, y plantait des vignes qui, d’étage en étage, prenaient d’assaut la montagne … « Voyons quel vin cela va donner ! » disait le peuple moqueur. Bientôt les plaisanteries firent place à la stupeur. Le soleil choyait la colline de ses rayons amoureux et la vigne s’épanouissait dans toute sa splendeur.
Lorsque Kütterlé produit son premier cru, l’on s’empressa de le comparer aux grands vins des terroirs environnants. Il y avait là le bouillant Kessler, l’ardent Wanne et surtout le généreux Saering. Mais voilà que tout bien pesé, dégusté, commenté, le jury fut unanime à proclamer que le dernier venu méritait de figurer au premier rang.

Historique

La mythologie germanique raconte que Odin, dieu magicien et rusé, fertilisa la vallée de Guebwiller. Blessé au pied par un sanglier, il fit naître une fleur de chaque goutte de son sang répandu. Les fleurs envahirent les coteaux, pour s’épanouir avec éclat dans les raisins chargés de sang divin.

Le Kitterlé est travaillé sans interruption depuis plus de 10 siècles. Ce terroir, mentionné dès 1699, a toujours bénéficié d’une réputation exceptionnelle. Au Moyen Age, Guebwiller est administré sous le régime despotique des Princes Abbés de Murbach. Les nobles ou les corporations faisant obstacle à leurs pouvoirs sont chassés de la ville ou dissoutes. Au XIIème siècle, la viticulture fait de Guebwiller une des plus importantes villes d’Alsace.

Les crus de la Wanne, du Saering et du Kitterlé transitent par Bâle et Lucerne en direction de l’Autriche. Leur renommée est telle que des négociants peu scrupuleux livrent les récoltes du vignoble suisse et d’ailleurs en les faisant passer pour du vin de Guebwiller.

Au XVIIème, les Guebwillerois, pour déjouer l’action des trafiquants, décident d’apposer un certificat d’origine sur chaque tonneau de vin qui part de leurs caves. Comme en témoigne la missive du 15 avril 1667 de la ville de Guebwiller à la ville de Lucerne : « nous avons décidé d’écrire à ces messieurs de Lucerne, parce que nous avons appris que certains acheteurs se laissent entraîner à prendre des vins de Rouffach, Westhalten, Soultzmatt pour les revendre comme vins de Guebwiller et de déclarer que dorénavant ses vins seront accompagnés d’un Ladtzettel ou certificat d’origine ». Ils deviennent ainsi les précurseurs des « Appellations d’Origine Contrôlée »….

Au XIXème siècle, on peut lire dans l’Annuaire Administratif du Haut Rhin (1854) : « sont particulièrement renommés […] les vins gentils de Guebwiller, connus sous le nom de Kitterlé, qui prennent, en certaines circonstances, un goût qui a quelque analogie avec le fruit du sorbier ou du noisetier, ce qui leur fait donner le nom d’Eschgriessel et de Hasselnusser. Le vin du même endroit, provenant du raisin ollwer, a la réputation de s’opposer à la formation de gravelle, et on dit même qu’il guérit ceux qui sont affectés de cette maladie. »

La délibération du conseil municipal de Colmar (1837) apporte l’indication suivante : « Il est évident que le vignoble de Colmar situé en plaine ne peut être assimilé à celui des montagnes … Le schatz s’y vend à peine 800 francs, tandis qu’à Guebwiller le schatz, qui est de sept ares, se vend jusqu’à 3.000 francs. Les produits des meilleures communes du vignoble sont bien supérieurs en quantité et en qualité à celui de la première classe de Colmar. On ne peut (donc) laisser les évaluations des vignes des cantons de Rouffach, Ribeauvillé et Guebwiller à un taux aussi rapproché à celui des mauvaises vignes de plaine. »
(Extraits tirés du livre de Claude Muller « Les vins d’Alsace – Histoire d’un vignoble)

Alors que les manufacturiers, venus de Suisse ou de Mulhouse, achètent les anciens domaines ecclésiastiques pour y installer leurs usines textiles, du fait de la mévente du vin et du manque de journaliers, la viticulture traverse une mauvaise passe. Nombreux sont ceux qui préfèrent aller travailler en usine plutôt que de continuer à s’éreinter sur les pentes de l’Ober et de l’Unterlinger. L’arrivée du mildiou et du phylloxéra aggrave la situation.

Les difficultés rencontrées par les vignerons sont une aubaine pour les nouveaux maîtres de la cité. Elles leur permettent de se doter sans mal d’une respectabilité terrienne : « Les industriels achètent le meilleur du vignoble, en commençant par les bons crus vendus comme biens nationaux. », souligne G. Bischoff. L’un d’eux, Nicolas Schlumberger, débute sa conquête de la terre par l’acquisition de 20 hectares de vignes en 1810. À la fin du XIXème siècle, il en possédera 40. Son domaine figure alors parmi les plus importants de la région. Parmi ses descendants apparaissent des vignerons invétérés : Ernest Schlumberger, arrière-petit-fils de Nicolas, entreprend en 1910 la reconstitution totale du vignoble de Guebwiller. Quinze années plus tard, son « remembrement » avant la lettre, est achevé avec l’acquisition de 2500 nouvelles parcelles. Le domaine Schlumberger s’étend sur plus de 130 hectares de vignes. Il est le premier d’Alsace et l’un des plus vastes de France.

Une nouvelle ère commence alors pour le vignoble du Florival. Elle est placée sous la double enseigne du capitalisme industriel et du retour à la tradition. Les parcelles sont regroupées pour former des ensembles homogènes, ne comportant que les cépages les mieux adaptés au sol et au climat. Cinquante kilomètres de murs de soutien sont reconstruits ou restaurés. Les immenses murs en grès rosé qui soutiennent les terrasses du Kitterlé se dressent comme les remparts protecteurs du « jardin des délices ».

Victor Canales Synvira