Le Grand Cru Kitterlé

Un éperon abrupt modelé à la force des bras, renforcé par cinquante kilomètres de murs : le Kitterlé est un monument. Ensoleillé du levant au couchant, pauvre et sablonneux, ce terroir magnétique donne des vins rares.

Le Grand Cru Kitterlé en quelques lignes :
Une superficie de 26 hectares, dont 20 ha nous appartiennent. Son altitude varie de 270 à 360 mètres.
Le rendement moyen est de 25 hl/ha.
Son surnom local de « Brise-Mollets » lui fut donné par les vignerons qui travaillaient dans ce site aux pentes approchant les 60 %.
Ce terroir volcano-gréseux fut mentionné pour la première fois en 1699 et commercialisé sous son propre nom dès 1830. Il occupe un site unique en rebord de montagne en dessinant un éperon rocheux offrant trois expositions différentes (sud-ouest, sud, sud-est) sur un sol à forte pente (jusqu’à 60 %).
Son sol très pauvre n’autorise qu’un rendement très limité favorable à une concentration des arômes et une exceptionnelle longévité des vins.
Cépages de prédilection : Riesling, Pinot Gris, Gewurztraminer.

Vigne Grand Cru Kitterle Domaines Schlumberger Alsace

La Nature

Quel que soit le cépage qui lui permet de s’exprimer, le sol gréso-volcanique, léger et sablonneux du Kitterlé, n’autorise qu’un rendement très limité, favorable à une grande concentration des arômes et une exceptionnelle longévité des vins.

Lieu

Le Grand Cru Kitterlé se situe intégralement sur la commune de Guebwiller, seule commune du vignoble à pouvoir se targuer de produire 4 Grands Crus : le Kessler, le Saering, le Spiegel et le Kitterlé. Ce colosse rocheux, dessinant un éperon sur le massif de l’unterlinger, offre différentes expositions (Sud, Sud-Est et Sud-Ouest) absorbant les rayons du soleil de son lever à son coucher. Accrochés à ses pentes escarpées, avec des secteurs de plus de 45° d’inclinaison, des murs en pierres sèches montées de main d’homme depuis plus de 250 ans, épousent les variations des sols et des savoir-faire. Seule la culture en terrasse permet ici le travail de la vigne.

Sol

Le sol du Kitterlé est léger et sablonneux, très perméable. Son substrat est formé de grès vosgien grossier et de conglomérats de quartzite du buntsandstein moyen. En approchant de son sommet, des niveaux de grès fins micacés et des lentilles d’argile se trouvent parfois interstratifiés. À son extrémité Ouest, le terroir gréso-volcanique appartient aux grauwackes du carbonifère. Le Kitterlé est un terroir pauvre et sablonneux qui ne peut jamais donner de grandes quantités de raisins. Mais cette pauvreté du sol alliée à une exposition au soleil optimale, favorise la concentration des arômes dans les baies et donne des vins d’une exceptionnelle longévité.

Micro-climat

Bien abrité des vents de secteur Nord par le massif vosgien, il est modérément arrosé (environ 700 mm pas an) et jouit d’un remarquable ensoleillement dû à la bonne exposition et à la pente extrême du coteau.

Encépagement

Gewurztraminer, Pinot Gris et Riesling se partagent le Kitterlé. Les zones situées à l’extrémité Ouest, bénéficiant des climats les plus froids sont plantées en Riesling. Plus ventilée, l’exposition sud offre une bonne situation au Pinot Gris. Enfin le site le plus favorable au botrytis est planté de Gewurztraminer.

Transmission d’un héritage

La légende rapporte que le nom Kitterlé, autrefois Küterlé, vient de Kuter (originaire du dialecte souabe) et signifie « gros matou sauvage ». Ce matou habitait jadis le « Haut Saering » et son esprit malicieux se manifestait dans les tonneaux des châteaux environnants. Selon une autre version, Kitterlé serait le nom d’un pauvre vigneron de Guebwiller qui, le premier, eut l’audace de partir à l’assaut de la colline pour y planter ses vignes. Visiblement, quelle que soit l’origine du mot, l’imagination populaire n’a cessé de chanter les vertus de ce terroir.

Le Kitterlé fut travaillé sans interruption depuis plus de 10 siècles. Ce terroir, mentionné dès 1699, a en effet toujours bénéficié d’une réputation exceptionnelle. Au Moyen Âge, Guebwiller est administré par le régime despotique des Princes Abbés de Murbach. Les nobles faisant obstacle à leurs pouvoirs sont chassés de la ville, les corporations réfractaires, obligées à la dissolution. Au XIIème siècle, la viticulture fait de Guebwiller une des villes les plus importantes d’Alsace. Les crus de la Wanne (le Grand Cru Kessler d’aujourd’hui), du Saering et du Kitterlé transitent par Bâle et Lucerne en direction de l’Autriche. Leur renommée est telle que des négociants peu scrupuleux livrent les récoltes du vignoble suisse et d’ailleurs en les faisant passer pour du vin de Guebwiller.

Au XVIIème, les Guebwillerois, pour déjouer l’action des trafiquants, décident d’apposer un certificat d’origine sur chaque tonneau de vin qui part de leurs caves. En témoigne la missive du 15 avril 1667 de la ville de Guebwiller à la ville de Lucerne : « Nous avons décidé d’écrire à ces messieurs de Lucerne, parce que nous avons appris que certains acheteurs se laissent entrainer à prendre des vins de Rouffach, Westhalten, Soultzmatt pour les revendre comme vins de Guebwiller et de déclarer que dorénavant ses vins seront accompagnés d’un Ladtzettel ou certificat d’origine ». Ils deviennent ainsi les précurseurs des Appellations d’Origine Contrôlée (A.O.C.).

Au XIXème siècle, on peut lire dans l’annuaire administratif du Haut Rhin daté de 1854 : « sont particulièrement renommés […] les vins gentils de Guebwiller, connus sous le nom de Kitterlé, qui prennent, en certaines circonstances, un goût qui a quelque analogie avec le fruit du sorbier ou du noisetier, ce qui leur fait donner le nom d’Eschgriessel et de Hasselnusser. Le vin du même endroit, provenant du raisin ollwer, a la réputation de s’opposer à la formation de gravelle, et on dit même qu’il guérit ceux qui sont affectés de cette maladie ».

La délibération du conseil municipal de Colmar (1837) apporte l’indication suivante : « Il est évident que le vignoble de Colmar situé en plaine ne peut être assimilé à celui des montagnes… Le schatz s’y vend à peine 800 francs, tandis qu’à Guebwiller le schatz, qui est de 7 ares, se vend jusqu’à 3 000 francs. Les produits des meilleures communes du vignoble sont bien supérieurs en quantité et en qualité à celui de la première classe de Colmar. On ne peut (donc) laisser les évaluations des vignes des cantons de Rouffach, Ribeauvillé et Guebwiller à un taux aussi rapproché à celui des mauvaises vignes de plaine. »

Alors que les manufacturiers, venus de Suisse ou de Mulhouse, achètent les anciens domaines ecclésiastiques pour y installer leurs usines textiles, du fait de la mévente du vin et du manque de journaliers, la viticulture traverse une mauvaise passe. Nombreux sont ceux qui préfèrent aller travailler en usine plutôt que de continuer à s’éreinter sur les pentes de l’Ober et de l’Unterlinger. L’arrivée du mildiou et du phylloxéra aggrave la situation.

Les difficultés rencontrées par les vignerons sont une aubaine pour les nouveaux maîtres de la cité. Elles leur permettent de se doter sans mal d’une respectabilité terrienne : « Les industriels achètent le meilleur du vignoble, en commençant par les bons crus vendus comme biens nationaux. », souligne G. Bischoff. L’un d’eux, Nicolas Schlumberger, débute sa conquête de la terre par l’acquisition de 20 hectares de vignes en 1810. À la fin du XIXème siècle, il en possédera 40. Son domaine figure alors parmi les plus importants de la région. Parmi ses descendants apparaissent des vignerons invétérés : Ernest Schlumberger, arrière-petit-fils de Nicolas, entreprend en 1910 la reconstitution totale du vignoble de Guebwiller. Quinze années plus tard, son « remembrement » avant la lettre, est achevé avec l’acquisition de 2500 nouvelles parcelles. Le domaine Schlumberger s’étend sur plus de 130 hectares de vignes. Il est le premier d’Alsace et l’un des plus vastes de France.

Une nouvelle ère commence alors pour le vignoble du Florival. Elle est placée sous la double enseigne du capitalisme industriel et du retour à la tradition. Les parcelles sont regroupées pour former des ensembles homogènes, ne comportant que les cépages les mieux adaptés au sol et au climat. Cinquante kilomètres de murs de soutien sont reconstruits ou restaurés. Les immenses murs en grès rosé qui soutiennent les terrasses du Kitterlé se dressent comme les remparts protecteurs du « jardin des délices ».

Victor Canales Synvira